SANDRINE DUCLOS ''LICORNE[S]''

   Extrait : ''Dès l'Antiquité, le portrait que dressent les érudits de la licorne est celui d'un animal composite, mélange du cheval et de l'âne pour l'allure générale, du cerf pour la tête, de l'éléphant pour les pattes et de la chèvre et du sanglier pour la queue. Son pelage est blanc tirant sur le roux, sa tête rouge avec des yeux bleu foncé. Vivant dans les montagnes de l'Inde, la Licorne est un animal solitaire et agressif mais qui peut se montrer doux à certaines occasions. Son signe distinctif est sa corne unique dressée sur le front, dont la longueur varie d'une à deux coudées, soit entre 50 et 90 centimètres, remède contre le poison. ''

   Sandrine Duclos est historienne de l'art, diplômée de l'école du Louvre. Elle a collaboré, entre autres, avec le Conseil des musées de Poitou-Charentes, la Cité du vin et l'Association des conservateurs des collections publiques d'Aquitaine. Elle a animé pendant huit saisons une chronique sur France 3 Aquitaine qui faisait découvrir des œuvres d'art des musées aquitains. Depuis dix ans, elle intervient à l'ICART (L'Ecole des métiers de la culture et du marché d'art), à Bordeaux, en initiation à l'iconographie puis en médiation numérique et contenus culturels.

   Elle assure depuis 2011 les ''Démélis-mélos de l'art'' au Forum des arts et de la culture de Talence (33), des conférences en histoire de l'art pour le jeune public. Elle a publié, aux éditions Mama Josefa, trois documentaires jeunesse, Vigne et vin, un monde à découvrir (récompensé aux Gourmand Awards 2011), Petite Histoire des jardins du monde (Trophée départemental de la Fondation de France 2012, 1er prix Graine de jardin du château de Versailles 2013) et L'Opéra dévoilé.

   La licorne, créature fascinante et légendaire a bel et bien existé ! Vous en doutez ? Pourtant cet être fantastique remonterait à l'époque paléolithique et aurait laissé son empreinte à travers le temps. C'est justement ce mythe de la licorne que Sandrine Duclos nous invite à découvrir dans son ouvrage ''LICORNE[S]'', paru aux Editions LA VALLEE HEUREUSE, dans la collection ''Personnages & Créatures légendaires''.

   Cet animal sauvage n'a pas fini de hanter l'imaginaire humain. Son apparition est décrite au IVème siècle avant J.-C. par un médecin Ctésias. Des voyageurs venant d'Inde dire y avoir aperçu un animal sauvage et fort étrange, possédant une unique corne au milieu du front. Nommé ''monokéros'' puis en latin ''unicornis'', ''alicorno'' en italien pour devenir en français ''licorne'', cet animal légendaire s'est souvent métamorphosé pour prendre bien des apparences.

   On retrouve dans presque toutes les civilisations des animaux unicornes dont le qilin lié à la mythologie chinoise depuis 4000 ans, symbole de justice, de paix et de félicité. Des sceaux datant de 2600 à 1900 avant J.-C. représentant une licorne ont été découverts dans la vallée de l'Indus et sur une paroi à Persépolis. Un ancêtre de la licorne serait peint à l'entrée de la salle des Taureaux dans la grotte de Lascaux, un félin avec une corne, dominant les autres animaux. Ce qui inévitablement a amené les chercheurs a pensé que la licorne serait un animal fantastique, né de l'imagination des hommes préhistoriques.

   La blanche licorne, celle que nous connaissons tous a quand même mis 2000 ans à imposer son image avec des descriptions rares et plutôt contradictoires. On la décrivait comme une chèvre plutôt que ressemblant à un cheval, avec une robe allant du bleu acier, à l'ocre, en passant par le brun, le vert, avant de n'être décrite comme blanche qu'à la fin du Moyen-Age. La licorne est devenue synonyme de chasteté et de pureté accompagnée bien souvent d'une dame. On a attribué des propriétés miraculeuses à sa corne qui inévitablement a fait des envieux.C'est sans doute l'animal fantastique qui a suscité de nombreux débats sur la réalité ou non de son existence. Savants, penseurs, écrivains, artistes, tous à leur manière ont apporté une pierre à la légende de la licorne pour en faire ce que l'on en connaît aujourd'hui.

   La première description de la licorne fait état de trois animaux fabuleux : la manticore à face humaine et queue de scorpion, le griffon à tête, ailes et pattes avant sur un corps et des pattes arrière de lion, une licorne nommée ''monokéros'' de taille respectable avec une corne unique sur le front. Sauvage, rapide, elle se laissait mourir si elle était emprisonnée avec une corne détenant des propriétés prophylactiques. Mégasthène, historien et géographe lui la décrit comme un animal unicorne avec le corps d'un cheval et la tête d'un cerf qu'il appelait ''Kartazoon''.

   D'après lui, il s'agissait d'un animal solitaire vivant dans les montagnes, agressif à l'égard de ses congénères, se révélant doux envers les autres animaux avec une corne utilisée comme antipoison. Le philosophe Aristote écrivit aussi sur la licorne qu'il nommait ''âne indien'', un animal solipède qui comme le cheval n'avait qu'un seul sabot à chacun de ses pieds. Même de nos jours, La licorne n'a pas fini de faire parler d'elle...

   Peu à peu des thèmes vont constituer le fondement de la légende de la licorne, l'un évoquant sa capacité à purifier l'eau en trempant sa corne, l'autre relatant sa capture . Impossible de capturer cet animal qui ne laissait personne s'approcher et s'enfuyait au moindre mouvement ! Alors comment donc la capturer pour s'emparer de sa corne merveilleuse ? Bien sûr, les humains convoitaient sa corne et n'étaient pas à court d'idées pour y parvenir. Et c'est alors que vint une ruse à l'esprit des chasseurs du roi : envoyer une jeune fille pure, vêtue d'une tunique. L'animal se précipitait vers la jeune fille, posait sa tête sur elle et s'endormait. La jeune fille pouvait dès lors l'apprivoiser et la ramener jusqu'au palais royal.

   Décrite comme féroce, téméraire, agressive, hardie, c'était le plus redoutable des animaux qui existaient. Orgueilleuse et brutale, elle détestait être vue. Souvent comparée à la puissance de Dieu, elle apparaît dans le bestiaire de l'amour avec une dimension symbolique pour servir de stratégie amoureuse. Mais la licorne peut aussi devenir le symbole de l'amoureux éconduit dont le désir ne sera jamais satisfait. Qui a oublié les traductions picturales comme la tapisserie de la Dame à la Licorne réalisée en 1500 à Cluny, une tapisserie truffée de symboles si on prend le temps de les déchiffrer un par un et particulièrement intéressante à parcourir.

   L'existence de la licorne se pose depuis l'Antiquité et bien des experts se sont affrontés sur ce terrain. Ce sont les artistes médiévaux qui ont donné à la licorne l'image que nous lui connaissons. La licorne a une valeur symbolique chrétienne très forte, pourchassée par des chasseurs qui pourchasseraient le Christ et qui deviendraient les païens. Sa mise à mort avec le corps transpercé s'apparenterait au coup de lance reçu par Jésus. De la chasse, la licorne a rejoint le Bestiaire d'amour, animal symbolisant l'amoureux transi, le chasseur d'amour. Le duo constitué avec une jeune femme va se former et s'éloigner de la chasse pour devenir une iconographie à part entière. Qui n'a pas entretenu parler de la dame à la licorne ? Notre licorne change. Elle devient douce, câline, symbole de pureté et de chasteté et devient d'un blanc immaculé et ressemble à un cheval à la crinière souple, des sabots fendus, une corne spiralée vers la gauche, une barbichette.

   Certains experts ont mis en avant que parfois la licorne pouvait avoir un aspect différent selon la région où elle vivait ou être confondue avec un autre animal. Mentionnée à neuf reprises dans la Bible, entrée dans le langage héraldique, ornant des tapisseries, elle est associée à la modestie, à la foi, l'innocence, la chasteté, l'amour sincère, protectrice, aidant les autres animaux en trempant sa corne dans l'eau pour ôter le poison avant qu'ils ne boivent. Elle représente aussi la force invincible qui préfère mourir plutôt que d'être capturée vivante, ne permettant qu'à une femme vertueuse de l'approcher, un animal qui détient le sens des valeurs.

   La licorne a-t-elle vraiment existé ? Est-elle un mythe avec d'infinies explications ? La licorne continuerait-elle à dissimuler le secret de son existence avec toutes les valeurs qu'elle incarne, des valeurs que bien des humains souhaiteraient acquérir et qu'ils sont encore bien loin de détenir. ''Licorne[s]'' est un ouvrage étonnant, démêlant le mythe de la licorne sous toutes ses formes et à travers les différentes époques et de plus joliment illustré. Assurément, la licorne n'a fini de nous émerveiller et de nous faire rêver 2000 ans plus tard... !

   Extrait : ''Lewis Caroll évoque la licorne dans son roman De l'autre côté du miroir (1871), qui fait suite à Alice au pays des merveilles. Alice se retrouve de l'autre côté du miroir du salon, dans un monde où tout est inversé. Elle y croise toute une galerie de personnages et d'animaux étranges, dont une licorne qui est en train de livrer un combat acharné contre un lion. L'affrontement est tel que sa seule corne émergeant de la poussière permet de la distinguer. Profitant d'une pause, Alice s'approche de l'animal qui croit ironiquement avoir affaire à ''un monstre fabuleux''. L'animal se montre philosophe et conclut l'échange en disant : ''Eh bien, maintenant que nous nous sommes vues, si tu crois en moi, je croirai en toi. Est-ce une affaire entendue ?''

Editions LA VALLEE HEUREUSE

TOULOUSE

   Les photos illustrant cet article sont de PIXABAY : SILVIA P / JANSON_G / DOREEN_KINISTINO / LILAWIND / SCHOGGIMOUSSE / MENSCHENHEIL / 27707 / OSC KAR / COCOPARISIENNE / JENSTUNGE / SABINJA / SARANGIB / KELLEPICS / MYSTIC SARTRESIGN / JAMESDEMERS / MZMATUSZEWSKIO / BARNI1